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L'électricité électrocute
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L'électricité électrocute
5 janvier 2008

Une histoire.

Je suis revenu du bar très tard ce soir. J’étais beaucoup trop défoncé. Je n’avais plus d’aise pour bouger, plus d’aise pour penser. Je n’avais que de force pour rêver. Je me suis effondré sur mon lit, comme un immeuble qu’on démoli. Pleinement fracassant. Sur mon lit il y avait des restes de vie. Je suis tombé face première dans un vieux foulard aux odeurs pétillantes de passé. J’y ai vu la touriste japonaise dans Montréal pour la première fois de sa vie. Je l’ai vu les deux pieds dans la neige, la jupe au vent, un long foulard au cou frottant son entrejambe. Je l’ai vu violée par le vent. J’ai vu son incompréhension, son désenchantement, sa lutte contre le chaos montréalais de l’hiver, tirant son parapluie avec toutes les forces de ses petits bras. J’ai senti l’odeur de pêche glacée de son sexe. Je l’ai vu perdre sa chaleureuse pudeur quand son foulard l’abandonna. Puis j’ai vu le calme après la tempête. L’infinie blancheur de l’atmosphère montréalais. Un petit homme se promenait, du haut de ses trois pommes, une pelle sur l’épaule, lourde comme lui. J’ai vu son enthousiasme, son désir d’impressionner. J’ai senti son excitation du premier jour du travail. J’ai senti l’aigre odeur de l’appât du gain qui traverse un homme pour la première fois. Petit homme, je t’ai vu pelleter de toute tes forces, détruire la glace de tes petites mains rembourrées. J’ai humé ton sentiment de travail accompli. Et j’ai parfumé mon nez de l’éclat de tes yeux, lorsque tu as fait ta découverte, petit homme au foulard glacé, qui retourne chez sa mère. J’ai vu la mère. Pas la mer, comme dans les rêves, mais la mère. La mère à l’accent grave. Si grave que j’ai senti la peur dans le petit homme. Je l’ai vu perde une de ses pommes : elle le croyait voleur. Une mère ne peut pas connaître l’évolution de son petit bout d’humain, après tout. Elles doutent. J’ai vu la déception dans le petit homme. J’ai senti sa rage d’être floué. L’odeur blessante de la trahison. L’envolée soudaine du sourire de satisfaction. Le désir funèbre d’être orphelin. J’ai vu la mère, quelques temps plus tard. Je l’ai vu donner le foulard confisqué. À un homme plutôt vieux, un peu louche, mais surtout farouche. Je l’ai vu l’apprivoiser pour quelques instants. L’homme la posséda, pensa payer sont dû. Charnellement conquise, j’ai senti l’effluve de ses cris. Plus loin par là, le petit homme perdait une autre pomme. Sa nausée dépassait tout. Puis j’ai vu le farouche vieil homme quitter dans la nuit, notre protagoniste au cou. Ça sentait mauvais. Plus tard il l’amena aux pauvres. Une famille le ramassa et une jolie fille le porta. Jolie fille qui fut un jour dans mon lit et qui pour une raison ou une autre enleva tout ses vêtements, à commencer par l’écharpe. Épave de mon lit. Ses odeurs étaient volatiles. Je ne sais pas si quelqu’un prendra la peine de me sentir un jour, car je n’ai pu voir la suite de l’histoire. Peut être que je ne voulais pas voir la suite, non plus. Le passé est beaucoup plus facile à voir que l’avenir. Et l’avenir est sans odeur. J’ai quitté mes rêveries éthyliques pour sombrer dans un sommeil pénard.
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